En 1989, Moto Crampons sortait un hors série sur "Les plaisirs du Trail". Bien sûr les V2 Honda d'alors y figuraient en bonne place. Ils avaient, par leur innovation et leur efficacité, le vent en poupe( et qui n’a pas faiblit depuis ;-)). On pouvait lire entre autres un superbe article sur l’ Africa Twin spécial Dakar du moment ( la 650, la RD 03 " marathon ", faite pour... l’Afrique comme son nom l’indique) , dont voici de larges extraits et quelques photos:
LA SAGA DES AFRICA
"En faire baver à ceux qui partent et faire rêver ceux qui restent.", la devise de Thierry SABINE était claire. Avec son opération Africa Twin, Honda la prend à rebrousse poil: faire partir "ceux qui restent" pour un budget raisonnable en leur fournissant une assistance digne d'un team d'usine. C'est carrément magique sur le papier car en Afrique, c'est une autre histoire…
Depuis un certain temps, médias obligent, le Paris -Dakar semble vouloir troquer son étiquette "aventure" pour se concentrer uniquement sur le coté "course". Perdus dans cette valse médiatique où seuls importent le résultat de l'étape du jour et l'état d'âme du vainqueur de la spéciale, les baroudeurs, les purs et durs et autres aventuriers se font rares. Ils n'ont plus les honneurs de la télé et hantent les bivouacs d'étape esseulés, la barbe hirsute, les yeux recroquevillé au fond des orbites, la démarche lourde et incertaine, signes évidents que les dernières galères ont entamé leur capital sommeil. Je ne vous parle pas des motos chargées comme des mules de pièces, d'outils et bardées de pneus de rechange : bonjour la pagaille dans les dunes! Tout cela semble bien loin aujourd'hui ( Nota: l'article date de 1989!) , les motards ont compris qu' un Dakar demande une préparation optimum et surtout une assistance sans faille. Beaucoup préfèrent ne pas partir plutôt que de galérer comme des bêtes.
L'antidote
Le premier but de l'opération Africa Twin , outre le coté promotionnel ( Honda n'est pas plus philanthrope que les copains) , a été de proposer un matériel à un prix "abordable" . Qu'est-ce à dire? 81500 F la bête prête à l'emploi. Une fois ce léger détail réglé, Honda s'engage à fournir une assistance digne de ce nom. Super… Et quelles sont les conditions? : Un budget pièces de 15000F ( chaque pièce utilisée pendant le rallye est défalquée au prix concessionnaire de cette somme), une remise sur les pneus, Michelin apporte son aide avec des prix béton sur les boudins et bib-mousse , Motul et Afam fournissant, quant à eux , gratuitement huile et chaîne. Autant vous dire qu'à ces conditions, on s'est bousculé au portillon. 150 candidatures sur 250 dossiers ont été retenues pour les sélections… Elles ont permis à 49 motards d'enfourcher une Africa Twin flambant neuve et d'embrayer direction le Sénégal.
Mais comment cela s'est passé sur le terrain? La course, l'ambiance, l'assistance , etc… Pour revivre l'odyssée des Africa Twiners, huit concurrents et non des moindres ont confiés leurs impressions post- Dakar . A tout seigneur tout honneur, Patrice TOUSSAINT, 1er marathon ( 16 ème au scratch ) et Patrick SIREYJOL , 2 ème marathon ( 17 ème scratch) . Puis, galanterie oblige, les dames, ou plutôt la dame, Maryline LACOMBE, côté étranger: Roberto BOANO l'Italien, Paulo DI MAURO le Suisse et Alassane LY le Sénégalais. Ces braves gens se sont confiés et nous racontent leurs joies et leurs galères…
Bref, tous les cas de figure que vous auriez pu rencontrer si vous aviez participé, ou que vous rencontrerez si vous décidez de tenter l'aventure l'an prochain…
Toussaint, l'homme comblé
Patrice TOUSSAINT, 27 ans est technicien à l’énergie atomique au centre de Saclay. Champion d’Ile de France en endurance 4 tps, il compte déjà une participation au Dakar qui s’est soldée par un abandon sur chute avant Tamanrasset ( la pauvre s’est fait balancer par une bagnole) bilan : un poignet cassé. Bien avant cette chute, c’était la galère avec l’assistance : " La voiture arrivait toujours à la bourre, il fallait se battre pour tout : l’essence, les pièces, mécaniquer jusqu’à des heures impossibles, essayer de dormir un peu et si, malgré tout, il restait du temps, trouver quelque chose à manger. Comment veux-tu trouver du plaisir à rouler dans ces conditions ? L’assistance, c’est la clé de la réussite au Dakar. C’est pour cette raison que je n’ai pas hésité pour m’inscrire à l’opération Africa Twin , à cause du sérieux de l’assistance que proposait Honda. Pour le budget, (170000 F ) le maire de Savigny/Orge m’a aidé. Il m’a trouvé des sponsors pour les 81500F demandés par Honda. Les câbles de Lyon m’ont renouvelé leur soutien en m’apportant 50000 F , et Roller Bike m’a donné un sérieux coup de pouce. J’ai mis de ma poche les derniers 40000 F manquants. Ouf ! Dans l’ensemble, ce fut moins dur que l’an dernier pour grosso modo la même somme. J’avais la moto bien en main quand j’ai lâché l’embrayoir Porte de Versailles, encore un avantage de l’opération, ce qui fait que j’ai tout de suite été à l’aise. Pour tout dire, j’ai passé trois semaines de rêve, sans galère mémorable si ce n’est la panne d’essence collective. L’assistance a été extraordinaire, surtout après Agadez où nous n’étions plus que 18 pour 15 mécanos. J’avais, quant à moi , un mécano attitré comme un pilote d’usine ! La formule Africa Twin , c’est réellement l’avenir. C’est à mon avis le seul moyen pour un privé de participer à ce genre de course avec l’espoir d’aller au bout… et de s’y faire remarquer . Au niveau fric, je retombe sur mes pattes, en revendant l’Africa Twin que j’ai gagné ( c’était le " lot " du 1er au classement de l’opération) , je récupère ma mise. Que demander de plus quand, il y a quelques semaines, je ne désirais rien de plus que de rejoindre Dakar. "
Le Dakar au féminin
Maryline Lacombe est la seule représentante du sexe dit faible de l’opération Africa Twin . A 19 ans, elle en est à sa 1ère participation au Dakar mais pas à sa première expérience moto. Dès 1983, elle entame les festivités avec le championnat de France mini-vert, puis la ligue de Provence 125 cross, le trophée Kawa, enfin de l’enduro en championnat régional sans pour autant laisser le cross. Elle a donc essoré quelques poignées avant de se lancer dans le Dakar la Provençaleu ! Etant encore étudiante, ce sont ses parents qui l’ont sponsorisée. Pas trop de problèmes donc pour trouver le budget. C’est grâce au patron de Motor Center d’Orange qu’elle se présente aux sélections. Nullement handicapée par sa taille, disons pas très grande, elle prend dès le départ beaucoup de plaisir au guidon de sa moto. " Malgré son poids et sa hauteur, l’Africa Twin reste étonnamment maniable et le travail effectué sur les suspensions est remarquable. " Hélas, l’euphorie sera de courte durée, son tempérament du Sud ( Et peut-être le poids de la machine) lui joue de mauvais tours : chute en Tunisie sur le goudron " glissant " , précise-t-elle, puis contrainte à l’abandon pour une stupide panne d’essence dans la spéciale du 4ème jour. "Ce jour là avait mal commencé, c'était en Libye, je roulais avec deux autres Africa Twinners, Hubert et François. A ce moment on s'est paumé. On s'est payé un super détour avant de retrouver la piste principale. Là, on a été obligé d'ouvrir en grand pour ne pas trop prendre de pénalités… mai le problème, c'est que la moto se met à consommer sévère dans ces conditions! Ce qui fait que peu de temps après, on s'est retrouvé en panne d'essence .Heureusement, nous avions réussi à rejoindre la piste, sinon je crois qu'on y serait encore. Il y avait bien des camions qui s'arrêtaient, mais ils roulaient tous au gasoil … Y en même un qui nous a donné de l'essence en purgeant son compresseur mais on a pu avoir que 20 l. pour 3, ça faisait juste! On a fait un saut de puce et rebelote … mais ce coup ci, on a du attendre un camion balai. On s'est retrouvé hors course, et voilà. C'est vraiment dommage, car tout était vraiment super: la moto avait la pêche, l'assistance était vraiment canon, on était dorloté par les mécanos qui nous bichonnaient des machines de rêves (certains en rêvent encore 12 ans après;-)) et l'ambiance , le soir au bivouac des Africa Twinners, était réellement extraordinaire ( déjà l'esprit Talr?!!). Vivement l'année prochaine que je me rattrape !" Au programme de sa nouvelle saison, le championnat de France d'enduro ( sur 250, pas sur Africa Twin !) et le Dakar again , toujours avec l'opération Africa Twin : "L'occasion est trop belle pour un privé, c'est sûr. Déjà, cette année, sans l'opération Africa Twin je ne crois pas que je serai partie."
Sireyjol, l'expérience
Champion de France junior d'enduro 1979, puis 250 national en 82, Patrick Sireyjol a un beau palmarès derrière lui. A 28 ans, c'est sa 3ème participation au Dakar. La 1ère remonte à 87:"A cette époque, j'étais parti en vrai privé avec le sac à dos bourré jusqu'à la gueule et une assistance pirate, dingue! J'ai abandonné avant Tam !" . Il remet ça en 88, au volant d'un Toyota, mais abandonne à trois jours de l'arrivée alors qu'il était en tête du classement marathon, dur, dur!" La voiture était fatigué de partout et Toyota n'a pas voulu lever le petit doigt, tu penses, il y en avait dix autres derrière! En 89, ça s'est mieux passé! Pourtant après mon expérience de 87, j'avais juré que jamais je ne referai le Dakar à moto. Des copains qui voulaient absolument le faire avec moi m'ont baratiné, harcelé… et je me suis laissé faire. J'ai choisi l'Africa Twin pour l'assistance proposée par Honda, bien que je n'aimais pas beaucoup la moto, trop lourde à mon avis. Comme je voulais le faire en balade, ce n'était pas trop grave. Pour le budget, ça n'a pas été tout seul : j'ai acheté la moto en leasing chez Challenge One , des gens adorables qui m'ont beaucoup aidé, histoire de ne débourser (sic!) que 40 000F. J'ai obtenu 40 000 F grâce à des sponsors… et j'ai mis 40 000F de ma poche: au total 120 000F de budget (NDLR: + 40 000F de leasing). Je suis donc parti dans l'objectif balade avec des potes et j'ai roulé peinard; vu les motos qu'on avait, c'était la meilleure solution. Cela m'a permis de faire un Dakar sans problème, sans galère … ou presque. Je roulais dans le Ténéré lorsque je tombe sur deux traces. Pas trop sûr de mon coup, j'emboîte celle de gauche. Je roule depuis un moment quand je sens un liquide couler dans ma botte: c'est de l'essence provenant de mon réservoir qui fuit ( NDLR: une maladie que connurent beaucoup de concurrents). N'ayant pas de quoi réparer, je continue et bien sûr, je tombe en panne sèche… devant un sac à dos portant le nom de Picco. Ça me rassure quant à l'itinéraire, mais quand je l'ouvre, ma parole, je n'en crois pas mes yeux… un jerrycan plein d'essence ! C'est pas de la chance ça ? Ce qui s'est passé en fait, c'est que la bride du sac à cassé et Picco l'a balancé sans sourciller. A part ça , l'assistance a été irréprochable . Pour dire, je n'ai même pas changé un pneu de tout le rallye! La formule Africa Twin , c'est LA solution. Avec ma place de deuxième et le petit accord que nous avions passé ensemble, Toussaint et moi, … Hé oui, à une semaine de la fin, on a décider d'arrêter de se tirer la bourre, histoire de ne pas finir tous les deux au tas, et de se rattraper sur les primes d'arrivée. ( NDLR Ce qui a du être apprécié par Honda qui n'a d'ailleurs pas hésiter à offrir une Africa Twin à Sireyjol, vainqueur du classement "gentleman". De là à dire que Honda à dit à ses deux pilotes de se calmer un peu, il n'y a qu'un pas… que je n'hésiterai pas à franchir!). Au niveau du bilan, ce fut une expérience vraiment extra, à tous les points de vue: classement, plaisir, et même argent, puisque je vais presque rentrer dans mes frais."
La régularité helvète
A Renens ( Suisse), est un grand spécialiste de l'Afrique. Il débute la compétition en 81 par le championnat suisse d'enduro qui, comme chacun sait, se déroule … en France! Ca marche pas trop mal pour lui, puisqu'il obtient rapidement sa licence inter. En 85, il se tourne vers les chauds déserts africains . Une première participation à la Djerba 500 se solde par une troisième place marathon. Il recommence en 86 et termine 4ème marathon. Avec une 23ème place scratch au rallye des Pharaons 88, notre homme est fin prêt pour s'aligner à son premier Dakar.
Il le fera dès 89 avec l'opération Africa Twin :
" Le Dakar, j'y pensais depuis longtemps, mais je n'ai jamais trouvé un budget me permettant de le faire dans de bonnes conditions, c'est à dire avec une assistance sérieuse, et une moto bien préparée. En gros tout ce que nous offrait Honda avec son opération Africa twin . Mon budget était de 50 000 FS, (soit 200 000 fr de l'époque), dont la moitié a été pris en charge par des sponsors ( Honda suisse, Motul suisse … ) et puis l'autre moitié vient de mon garage, je m'autosponsorise en quelque sorte! Dès le départ, l'ambiance a été super […] . En Tunisie, par contre, les choses sérieuses ont commencé. Problème de ravitaillement, et puis les dunes qui traversaient la route ( sic!). C'était gênant… surtout la nuit, je me suis bien ensablé! Ça m'a un peu entamé le moral au point de me demandé si j'avais fait le bon choix. En Libye, je me suis perdu dans le brouillard comme tout le monde et j'ai fini cette étape de nuit. Dans le Ténéré, il y a eu cette histoire à Termit où l'on a été privé de nourriture et ce fameux problème d'essence qui nous a fait galérer toute la nuit … Pas vraiment sympa, parce que dans des coups comme ça, tu te fout chaque fois le moral en l'air: t'arrives à peine qu'il faut déjà repartir, le rallye, lui, n'attend pas. Il faudrait que T.S.O. soit beaucoup plus sérieux et ce à tous les points de vue: bouffe, essence et sécurité; parce que faire partir des concurrents dans le Ténéré avec 2 litres d'eau, c'est grave.
Bref, j'ai attaqué le Ténéré… et je suis tombé en panne à cause des saletés dans l'essence, j'ai perdu 10 heures et encore une nuit bien blanche. Après Agadez, tout va mieux, mis à part le blocage de mon dos à force de relever cette moto bien lourde, grâce à une assistance vraiment extraordinaire avec son mécanicien attitré , une motivation supplémentaire, qui m' a remonté le moral à bloc. Vis à vis du mécano, il fallait que je sois là tous les soirs, je l'ai fait malgré mon dos. La moto s'est bien comportée si ce n'est en Guinée où il a fallut rouler doucement, presque trialiser et elle n'est vraiment pas faite pour. J'étais vraiment heureux d'arriver à Dakar. Je garderai de cette opération Africa Twin un excellent souvenir, du Dakar aussi du reste, si ce n'est de l'organisation TSO."
[…]
Le Dakar clé en main.
L'opération Africa Twin est un succès. Pour les concurrents en tous cas! Pour Honda aussi puisque l'on est déjà certain que la formule sera reconduite avec quelques modifications tirées de l'expérience de cette année. A savoir: Une sélection plus serrée, 25 à 30 concurrents maxi permettant ainsi d'éliminer tous les concurrents qui ne sont cette année que grâce à l'apport de leur budget…pour abandonner dès les premières étapes. Quoique d'une manière générale, il ressort de ces interviews, que les privés abordent différemment les rallyes africains. Fini le rêve, l'aventure "au pied levé", on veut savoir où l'on met ses crampons, de l'aventure oui, mais pas trop de galère. L'assistance en béton semble être le motif de nos héros des temps modernes, et il y a fort à parier que l'idée sera reprise par la concurrence, ce qui est à mon avis une bonne chose. Comme vous le voyez, face aux grosses légumes, les poireaux prennent de la graine!
Moto et assistance
Les motos étaient, vous le savez, des Africa Twin standards … ou presque! Voyons voir de plus près les différences entre une Africa Twin stock et notre geisha: assemblées au Japon, nos 50 machines ont bénéficié d'une chaîne de montage spécial. Cela a permis une finition encore plus sérieuse que le modèle standard. Coté aménagement, on retrouve tout ce qui est permis à la catégorie marathon, à savoir : réservoir principal de 40 l. plus un second d'une capacité de 17 l. sous la selle. Le sabot moteur est renforcé et reçoit les 2 compartiments pour l'eau et la trousse à outils. Voilà pour les aménagements visibles à l'œil nu, les roues sont équipées de bib-mousse tandis que les rayons sont renforcés de même que la suspension. La fourche, reçoit plongeurs et ressorts de Honda cross, l'élément Showa est complètement revu. La démultiplication finale est légèrement raccourcie et la carburation a été peaufinée. Le moteur reste strictement d'origine. L'instrumentation est typiquement Dakar avec boussole, trip-master et dérouleur de road book. Le tout était à vous pour 81 500 fr.… assistance comprise c'est à dire: un team complet encadré par François Charliat, un coordinateur, 10 mécaniciens dans l'avion de TSO, 2 camions 4X4 et un camion 6X6 avec trois conducteurs, trois mécano et trois magasiniers. Il y avait malgré tout la possibilité d'emmener son propre mécano!…